Portrait - DJ Algernon
- Xzvrey

- 15 août
- 11 min de lecture

Cela fait maintenant pas mal de temps que DJ Algernon (Algie) déploie des efforts inconsidérés pour organiser des soirées Goth dans les bars et salles de la région bordelaise. Un tel investissement est par essence quelque chose de positif. Il est tout naturel pour Jeu D'Ombre de donner la paroles aux personnes qui, comme Algie, essaient d'entretenir la scène et le mouvement en l'ancrant dans le réel.
Vous constaterez que notre invité n'est pas tombé de la dernière pluie et qu'il a une analyse fine et subtile des difficultés que rencontrent l'underground Post-Punk/Goth de nos jours. Pourtant, c'est un espoir que porte Algernon, celui de voir une communauté fleurir et s'épanouir en créant des soirées.
Propos recueillis par Xzvrey en 2025.
1/ Salut Algernon comment ça va ? Qu’est-ce qui tourne sur ta platine perso en ce moment ? Une découverte récente à partager avec nous ?
Honnêtement, j’essaie de pas rester bloqué sur un artiste en particulier. Je passe pas mal de temps sur spotify à explorer les listes de découvertes et à faire des recherches de nouveaux titres. Actuellement, j'écoute pas mal NNHMN, le dernier album de Dark Line Spectrum, et Aksis, ma dernière découverte, un jeune groupe français très prometteur.
2/ Pourrais-tu, s’il te plaît, te présenter et nous expliquer un peu ton parcours en tant que DJ ? Cela fait-il longtemps que tu mixes ? Pourquoi ce pseudo ?
Eh bien je suis Algernon, 38 ans et je traîne dans la communauté goth depuis… Presque 25 ans, maintenant, ça fait beaucoup, je ne m’étais jamais vraiment posé la question !
J’ai commencé à sortir dans les soirées goths de mon coin (Clermont Ferrand, à l'époque) vers mes 17-18 ans… Et puis, j’ai arrêté quand la scène est tombée dans le coma à Bordeaux, y a une quinzaine d’années… À un moment, je me suis dit que c’était dommage de laisser la scène en pause comme ça et j’avais envie, pour moi d’abord, de retrouver l’ambiance des soirées goth, alors je me suis fait offrir ma première platine, un matos très bien pour les débutants et qui m’a permis de mixer d’abord en soirées privées. Ça, c'était l’année avant le COVID, en gros ; un an à organiser des soirées privées avec une connaissance et surtout devant des amis, public conquis à l’avance. Puis, le confinement est arrivé. J’ai continué à mixer pour moi, à la maison et lors du déconfinement on a repris les soirées privées et j’ai vraiment fait mes armes à ce moment-là. D’abord parce qu’il y avait des gens que je ne connaissais pas forcément qui étaient invités, donc il y avait quand même l’envie que la soirée leur plaise et ensuite parce que je me suis retrouvé à faire des mixs marathons. Je pense que mon plus long mix a duré… Pas loin de 9h! Comme tout à une fin, ces soirées privées se sont arrêtées. J’ai commencé de mon côté à chercher du matos un peu plus pro parce que je voulais proposer des soirées ouvertes à tous et j’ai eu la chance de tomber sur Carbon Killer, un artiste de Synthwave qui m’a beaucoup aidé à sélectionner mon nouveau matos et à prendre en main cette grosse platine. Il m’a aussi aiguillé concernant des choses qui me manquaient ou auxquelles je n’avais pas pensé parce que, mine de rien, jusque-là, j'étais complètement autodidacte. En plus je viens de la danse, pas de la musique ; certaines choses n'étaient pas évidentes pour moi alors que d’autres se sont vraiment imposées comme des évidences… Cette petite mise à niveau m’a vraiment fait du bien! Dans la foulée, un bar a accepté de me donner ma chance et j’ai une résidence mensuelle là-bas. Un parcours de DJ classique, quoi : DJ de salon pendant quelques années et puis passage en bar. Du coup, ça fait 6 ou 7 ans que je pratique et ça va bientôt faire un an que je fais ça en public.
Le pseudo, il vient de la souris de l’excellent bouquin de Daniel Keyes. Je l’ai choisi pour énormément de raisons, certaines que je ne peux pas raconter sans spoiler le livre, ce qui serait dommage, et d’autres un peu plus personnelles. C’est un rappel à ne pas me mettre en colère pour une chose personnelle qui peut rapidement me mettre en rage mais qui n’en vaut pas la peine, par exemple.

3/ Quels sont les styles que tu mixes dans tes soirées ? As-tu des artistes fétiches en ce moment ? Est-ce que tu mélanges un peu les époques aussi (80’s, actuels etc) ?
Dans les soirées que j’organise, j’essaie de taper large, au niveau des styles. Surtout parce qu’on n’a pas assez de public à Bordeaux pour que je puisse me permettre de resserrer sur un seul style. Je sais que certaines personnes sont mécontentes (pour de rire) de la structure de mes mixes mais tant que le public sera peu nombreux, j’essaierai de garder cet équilibre. Donc oui, je mélange les styles et les époques, mais j’essaie de garder des “mouvements” lors des mixes, je ne vais pas aller mixer du Hocico sur du The Cure pour retomber sur du Siouxsie, ce serait… Compliqué à écouter, et surtout, ça sort les gens de l’atmosphère de la soirée. En général, je commence par du post-punk et de la darkwave années 80 ou des groupes plus modernes mais vraiment dans cette vibe là comme Twin Tribes, par exemple ou les jeunes d’Aksis que je citais plus haut. En général, je termine avec de l’aggrotech qui est un style très énergique. Je fais en sorte d’avoir une progression dans la “violence” faute de trouver un meilleur mot. Après, dans les soirées où je suis programmé, je mixe surtout le style qu’on me demande.
Pour les artistes fétiches actuellement… Je vais en citer pas mal. En goth plus traditionnel, je me répète mais il y a Aksis et aussi Suzi Sabotage, pour le volet aggrotech et indus, je suis sur Extize/Basszilla, mais un groupe que j’adore mixer, c’est Alien Vampires et bien sûr, je ne peux pas m'empêcher de faire un passage du côté de Dark Line Spectrum même si je me suis rendu compte que j’en avais moins dans mes mixes ces temps-ci, mais ça va revenir, surtout avec la sortie de leur dernier album ! En dehors du Goth, je suis très partial vis-à-vis de la synthwave et 2 artistes que j'apprécie énormément sont Carbon Killer et Polybius
4/ Tu es très présent dans un bar aux alentours de Bordeaux : L’arcadien c’est cela ? Peux-tu nous expliquer le concept de tes soirées mix ?
Oui, l’Arcadien ! C’est un bar à l’ambiance plutôt metal à Bordeaux qui a ouvert il y a quelques années et c’est son patron qui a accepté de tenter avec moi de faire renaître les soirées goth. On a appelé ça “L'Arène des Damnés” en référence au roman. Je ne sais pas si on pouvait parler de concept jusqu’à cet été. On m’a proposé de faire des soirées régulières dans 2 nouveaux bars de Bordeaux : le Black Cat et le Sputnik pour lesquels on va nommer les soirées “La Crypte des Damnés” et “Le Vaisseau des Damnés”. J’essaie de rester proche de la DA du bar où je joue. Donc on peut dire que sur Bordeaux, mon concept, ce serait “Algernon fait danser les Damnés”

5/ Tu es aussi très présent sur les réseaux sociaux. Tu disais (à juste titre) dans une de tes vidéos qu’il fallait que les goths sortent un peu et participent aux événements organisés car être goth sur internet cela ne va pas suffire pour faire vivre le mouvement. Constates-tu un manque au niveau de la fréquentation des soirées/concerts etc ?
Oui, clairement. Mais ce n’est pas que dans les milieux alternatifs, même si la culture goth a peut-être pris le coup le plus rude, à mon sens. Je ne veux pas bâcher les Gen Z, mais c’est très dur de les faire sortir. La conjoncture actuelle les incite à faire des économies, donc ils sortent moins, mais de toute façon, le moment où ils auraient pu se socialiser autour de ces sorties a été, pour beaucoup d’entre eux, une période de confinement et ils n’ont pas pris cette habitude. Si tu ajoutes à ça un trou générationnel laissé par les Mall Goths, (les Goths M6 en France) qui a perturbé le passage de flambeau, c’est compliqué… Je pourrais sans doute passer plusieurs heures à parler des causes et conséquences sociales qui entourent ce sujet mais pour faire court : Oui, je trouve qu’il y a un manque de fréquentation. Et je reste fidèle à ce que j’ai dit : voir des gens hyper lookés sur internet mais personne dans les salles, ça ne fait pas un mouvement.
6/ As-tu eu la chance de mixer dans d’autres villes que Bordeaux par le biais de soirées, fests etc ? Une expérience à l’étranger aussi ?
Pas encore, mais je croise les doigts ! J’ai des contacts avec Freaky Dandy, un DJ Rouennais qui tourne pas mal et qui est également organisateur. Je t’avoue qu’actuellement, mon objectif ultime, ce serait de mixer durant un event de la Setmana Santa, à Toulouse ! Après ça, je me poserais la question : est-ce que ça me suffit ou est-ce que j’essaie de viser ailleurs ? La Setmana Santa, ce serait déjà très bien
7/ Selon toi, qu’est-ce qui manque aujourd’hui dans la scène Française ? Je veux dire : il y a des fests et de gros concerts dans un paquet de pays autour de nous (Allemagne, Pologne, République Tchèque, Italie, Espagne…) et en France on ne peut pas vraiment dire qu’il existe beaucoup d’évènements d’envergure (avec un public conséquent).
Pour être honnête, je trouve que la scène goth a jamais vraiment bien pris, en France… Tous les goths qui ont vécu les années 2000 durant lesquelles on avait l’impression d’être nombreux se rappelleront aussi le bashing perpétuel de la télé à notre encontre. Mais pour rejoindre ma réponse précédente, je pense que ce qui manque, ce sont des événements locaux où se retrouver et la volonté des goths de s’y retrouver. Comme je disais dans la vidéo à laquelle tu faisais référence, ce n’est qu’en montrant qu’on existe qu’on incitera les producteurs à produire des grosses têtes d’affiche partout en France.

8/ Selon toi, que pouvons-nous faire individuellement pour aider un peu les scènes Post-Punk/Goth à se revitaliser un peu en France ?
Individuellement, c’est compliqué, je pense. Mais déjà soutenir les scènes locales, aller aux concerts… Je ne vais pas dire qu’il faut se déplacer à chaque fois, ça peut revenir cher et tout le monde a un emploi du temps chargé (je sais de quoi je parle) mais je pense que c’est vraiment la chose la plus importante. Je déplore aussi la disparition des magazines goth, c’est pour ça que je trouve que les initiatives de webzine comme la tienne sont super importantes. Après, dans les endroits vraiment déserts, j’incite vraiment les jeunes goths qui se sentent une âme de DJ à se lancer. Je n’ai pas développé ce thème en vidéo, et je devrais sans doute le faire, mais avec un bon sens du rythme, c’est quelque chose qui peut s’apprendre facilement et même faire des soirées en petits comités peut faire du bien au dynamisme de la communauté. Je ne dis pas non plus que c’est d’une facilité incroyable. Déjà, selon le matos, on peut quand même se retrouver face à des prix prohibitifs et je comprends tout à fait le stress lié au fait d’aller démarcher des lieux pas forcément ouverts à priori à notre culture. Et la com’ physique à un coût aussi…

9/ Parlons un peu de toi personnellement maintenant. Quand et comment es-tu entré en contact avec l’univers gothique ? Quel souvenir gardes-tu de cette première rencontre ?
Ahah ! Je pense que j’ai emprunté le pipeline classique des jeunes des années 2000 ! A l'époque, pas encore d’internet. Mon père écoutait un peu de coldwave et du rock progressif donc, déjà gamin, j’avais plutôt l’oreille attentive au rock. Et ensuite Indochine, Placebo, peut être Evanescence ou Manson si on avait vu Bowling for Columbine et l’arrivée, enfin, à Elegy, le magazine des cultures goth ! Et là, j’ai pris une claque ! Comme je disais, pas d’internet, pour découvrir la musique goth, il fallait soit connaître des aînés soit passer par ce genre de magazines et Elegy offrait tous les mois un CD complet de musique goth ! Je me souviens que le premier CD que j’ai récupéré comme ça, je me le suis passé en boucle pendant des jours et c’est là que j’ai consolidé mon amour pour l’aggrotech avec Hocico. Tout ça en feuilletant encore et encore ce magazine formidable qui était vraiment super complet, qui présentait la culture goth sous toutes ses coutures : la littérature, les artistes visuels, les performeurs, le cinéma… Même certaines personnes simplement connues dans le milieu ! Tu vois, ça aussi je trouve que ça manque aujourd’hui ; on s’extasie sur les artistes fondateurs du mouvement et on entend beaucoup moins parler des artistes actuels alors qu’ils participaient vraiment à l'émulation du milieu !
10/ Quels sont tes artistes de référence en matière de scènes Post-Punk/Goth ?
Je ne vais pas être original. Bauhaus, Siouxsie et Clan Of Xymox. Mais en aggrotech et indus, Hocico, Psyclon Nine et Combichrist!

11/ En dehors d’être DJ, est-ce que tu participe aux scènes par d’autres biais ? Comment ta passion des scènes Post-Punk/Goth s’articule-t-elle avec ta vie quotidienne ?
J’essaie de faire correspondre ce que je dis avec ce que je fais et de me déplacer aux concerts et aux événements goths du coin, mais mon boulot me soumet à un planning chargé avec lequel je ne peux pas toujours m’arranger… D’un autre côté, le dress code y est inexistant et je peux m’habiller comme je veux. Même si je n’y vais pas hyper looké, je n’ai jamais vraiment eu de remarques sur mon apparence ce qui est déjà bien mieux que dans pas mal d’entreprises, actuellement. Une partie de mon temps libre est par ailleurs consacré à préparer les prochains sets, que ce soit chercher et préparer de nouvelles pistes ou concevoir la communication visuelle. Tiens, on parlait de concept plus tôt, ben j’essaie d’avoir des concepts pour la com’ visuelle. Toutes les affiches pour L'Arène des Damnés suivent une même DA : photo prise avec des amis qui appartiennent à la communauté, filtre monochrome afin d’avoir un côté un peu vintage, un look qu’on pouvait retrouver aux alentours de 2010 !

12/ Selon toi, comment se porte les scènes Post-Punk/Goth dans ton secteur géographique (aux alentours de Bordeaux donc) ? Y’a-t-il assez de public ? d’évents ?
Il n’y a jamais assez d’events ^^. Pour être honnête, je trouve qu’il y a trop peu de public qui sort mais je sais que le public est là. Est-ce que tu connais le concept de demande induite ? C’est un concept d'économie. En fait l’offre de quelque chose pour laquelle il n’y a pas de demande va créer la demande parce qu’il y a une offre. Il y a des jeunes goths sur Bordeaux et ses alentours qui ne sortent pas parce qu’il n’y a pas de soirées. En organisant des soirées, on peut redonner de la visibilité au milieu goth et le faire découvrir à des personnes qui n’attendaient que l’existence d’une communauté pour sauter le pas et la rejoindre. Ça peut sonner cynique, mais ce n'est pas le cas. En multipliant les petits événements, j'espère qu’on arrivera à fédérer une communauté assez importante ou en tout cas assez dynamique pour justifier l’existence d'événements plus importants ! Moi, mon seul intérêt dans tout ça, c’est d’avoir plus d'événements locaux !
13/ Allez tu n’y couperas pas toi non plus haha, quels sont tes plats et boissons préférés ?
Alors, c’est terrible ! Tu peux me corrompre facilement avec des sushis, des gnocchis, ou des plats avec une sauce à la cacahuète ! Pour les boissons, je ne bois presque plus d’alcool aujourd’hui mais je suis très fan d’un russe blanc modifié au Bailey en lieu et place du kahlua. Sinon, et vraiment à ma grande déception, il ne faut pas laisser une bouteille de coca dans mes parages, parce que je vais la vider, quel que soit le volume et ce n’est pas très bon pour la santé :-/
14/ Algie, merci beaucoup d’avoir répondu à mes questions, j’espère que nous aurons l’occasion de nous recroiser dans le cadre d’un évènement un de ces jours. Je te souhaite beaucoup de fréquentation à tes soirées 😉
A+ 😊
Merci à toi ! je suis sûr qu’on se recroisera. Et je tiens encore à dire que les initiatives comme la tienne sont super importantes et je te remercie de prendre de ton temps pour faire vivre ce webzine et notre culture adorée !



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